De plus en plus d’écrivains paient pour être édités. Quel intérêt présentent les maisons d’édition à compte d’auteur à l’âge d’Internet et de l’auto-publication?
Lire ses propres mots dans un livre. Cette possibilité n’est pas donnée à tous. Les maisons d’édition refusent les manuscrits en masse et l’auto-édition s’envole. Entre 2011 et 2012, le nombre de livres auto-édités en Suisse a augmenté de 30%, déclare Béatrice Hediger de l’agence ISBN pour la Suisse. Selon le secrétaire général de l’Association suisse des diffuseurs, éditeurs et libraires (ASDEL) Jacques Scherrer, un livre sur six en moyenne a été publié par son auteur entre 2006 et 2009, ce qui représente «300 à 400 ouvrages en moyenne par année».
Comment créer son propre livre? De nombreux sites payants, comme Blurb.ch, permettent de confectionner, d’imprimer et de publier des textes. Le tout en deux-trois clics de souris. Une démarche différente chez les maisons d’édition à compte d’auteur, où le manuscrit doit être sélectionné par un comité de lecture. Dans les deux cas, il faut payer. Plus de 10 000 euros (un peu plus de 12 000 francs) pour 300 exemplaires de 200 pages sur Blurb.ch, 2000 euros en moyenne aux Éditions Baudelaire, 600 chez Publibook – avec ensuite un tirage pour chaque commande – et 1000 francs pour 100 exemplaires aux Éditions à la Carte. Pour les trois dernières structures, le prix comprend la maquette, les corrections orthographiques et syntaxiques et les projets de couverture. Le texte et l’illustration en somme.
Une fois les exemplaires tirés, l’auteur perçoit en moyenne 20% des ventes sur ses 1000 premiers livres aux Éditions Baudelaire, 18% à Publibook et la totalité pour les Editions à la Carte et Blurb.ch. Mais encore faut-il vendre les livres! La diffusion incombe la plupart du temps à l’écrivain. L’auteur du roman à succès Le nid des papillons, Marie Garnier, déclare avoir fait «sa propre promotion». Paru aux Éditions Baudelaire en 2010, son livre «a été publié par la maison d’édition, mais rien de plus». Même expérience pour Marie-Jeanne Rosat – auteur du Mors aux dents aux Éditions à la Carte – qui confie avoir diffusé elle-même son œuvre. Une promotion que les médias ne facilitent par ailleurs pas beaucoup. Le Temps, par exemple, n’accepte pas de chroniquer les livres publiés à compte d’auteur.
Quitte à payer et ne pas être diffusé, pourquoi ne pas publier sans intermédiaire? La directrice des Editions à la Carte, Evelyne Guilhaume, défend «le conseil, le service et l’encadrement». Contrairement à une publication sur Internet, l’écrivain est accompagné. Il est suivi et aidé dans sa démarche. Marie-Jeanne Rosat approuve: «Ils ont tout fait, des conseils sur la couverture aux corrections orthographiques et de formulation du texte.»
La directrice et fondatrice des Éditions Baudelaire, Sonia Vignon-Jamal, fait un pas de plus. Elle associe l’édition à compte d’auteur à une «aventure littéraire». «La publication est faite de rencontres et de relations qui ne se retrouvent pas sur la toile», dit-elle.
Marie Garnier revient sur son parcours. Son aventure lui a permis d’être «jugée et notée», dit-elle, de gagner en «crédibilité». Mais de quelle crédibilité parle-t-on? Evelyne Guilhaume a été éducatrice dans la petite enfance et gérante d’hôtel avant de diriger les Editions à la Carte. Quand elle évoque son comité de lecture, elle confie que «l’étude de manuscrits se fait entre amis». Aux Editions Baudelaire, le constat est le même. La fondatrice Sonia Vignon-Jamal déclare que «le critère littéraire n’est pas fondamental dans le processus de sélection de manuscrits». Quoi alors? «L’originalité» et «l’émotion».
Et pour les auteurs? «Mon roman n’était qu’un moyen de témoigner, une manière de marquer le coup», déclare Marie-Jeanne Rosat. Une légèreté qui se retrouve dans l’histoire de l’œuvre, Le mors aux dents est un récit sur le monde des courses de chiens de traîneau.
Pour Sonia Vignon-Jamal, l’édition à compte d’auteur se conçoit comme «une roue de secours». «Notre but est de donner une visibilité à des auteurs qui ne rentrent pas dans les standards», dit-elle. Evelyne Guilhaume acquiesce: «Chaque histoire est légitime, qu’elle soit lue par beaucoup ou non.»
Les maisons d’édition classiques sont moins flexibles. La directrice des Editions Zoé, Caroline Coutau, déclare n’accepter environ «qu’un ouvrage sur 800». Trop d’offre? Pas seulement, pour Jacques Scherrer. Le secrétaire de l’ASDEL évoque «la réputation de l’auteur», «l’orientation commerciale de certaines maisons» et les «choix éditoriaux». «Certains livres sont parfois jugés bons mais en inadéquation avec les thèmes favorisés», explique-t-il. Marie Garnier confirme: avant de publier à compte d’auteur, un éditeur de Gallimard lui aurait déclaré que le handicap n’était «pas médiatique».
Les maisons d’édition à compte d’auteur, elles, donnent leur chance à tout le monde. Une ambition honorable mais peu risquée. «Elles ont une sécurité minimale, estime Jacques Scherrer. Dans l’édition classique, l’éditeur produit et investit de l’argent à ses propres risques et périls. Dans l’édition à compte d’auteur, il ne propose qu’un service.» Pour une maison littéraire indépendante en Suisse romande bien présente en librairie, un livre coûte en moyenne 30 000 francs, un prix qui comprend entre autres la fabrication, l’avance donnée à l’auteur et le travail des employés. Aux Editions Baudelaire, il revient à la moitié (dont 2500 francs reversés par l’auteur lui-même) pour l’impression, la communication, la réalisation et la présence sur les salons.
«La publication est faite de rencontres et de relations qui ne se retrouvent pas sur la Toile»