Les enquêtes sur le compte d’auteur sont un des marronniers de la presse littéraire propres à réveiller le justicier à deux sous qui sommeille en tout journaliste : après avoir donné quelques exemples de gens abusés, il est de bon ton de taper sur l’industrie du compte d’auteur, supposément peuplée d’aigrefins, et de l’opposer aux nobles pratiques du milieu de l’édition à compte d’éditeur, où l’écrivain ne débourse rien et où l’éditeur prend les livres à sa charge. En fait, l’édition à compte d’auteur précède, historiquement, le compte d’éditeur : au temps des libraires-éditeurs et imprimeurs-éditeurs, c’était l’écrivain (comme Montaigne) ou son mécène qui avançait les frais.
L’édition telle que nous la connaissons a émergé peu à peu au cours des XIXe et XXe siècles, tout en coexistant avec le compte d’auteur (Du côté de chez Swann a été publié par Proust à ses frais chez Grasset en 1913). Puis le compte d’éditeur a emporté l’essentiel du marché, nous menant au contexte actuel : d’un côté, les livres publiés par de vrais éditeurs ; de l’autre, le tout-venant du compte d’auteur. Mais, dans la tête des auteurs aspirant à la publication, un livre reste un livre, dont on attend, outre de l’argent, un bénéfice social et symbolique. Et ces rêves de succès, ces désirs de symboles ont été assez forts pour transformer l’édition à compte d’auteur, naguère proche de l’artisanat, en industrie.